Notice de Sœur Odile GUYON

28 Août 1902 – 5 Janvier 1964

62 ans d'âge - 37 ans de vocation

COLLEGE D'ISMAÏLIA (Egypte)

N'est-il pas un peu "osé" et téméraire de placer en tête de ces lignes ce passage tiré du «Journal intime» récemment publié de Sa Sainteté Jean XXIII et qui peut s'appliquer mot à mot de la première à la dernière ligne à Sœur Guyon ?

- Mon tempérament incline à la condescendance et à retenir aussitôt le bon côté des personnes et des choses plutôt qu'à critiquer et à porter des jugements téméraires.

- Une plus profonde compréhension du cœur humain me met souvent en opposition intérieure avec l'ambiance de mon entourage.

- Toute forme de défiance ou de traitement désobligeant envers qui que ce soit, surtout envers les petits, les Pauvres, les infirmes, les inférieurs, tout éreintement et tout jugement irréfléchi me font de la peine et me causent une souffrance intime. . .. Je me tais ... mais mon cœur saigne ...

Aucun événement notable ne vint mettre en relief cette vie si simple en apparence et cependant si riche de grâces, de vertus et d'exemples.
Sa volonté d'effacement fut telle que sa mort et quelques correspondances précieusement conservées révèlent seulement tout ce qui peut être dit sur cette bonne Fille de la Charité dont personne cependant ne méconnaissait la valeur quand on l'avait une fois approchée.

Madeleine-Paule Guyon, « Madette » dans l'intimité, naquit à Dijon, le 28 août 1902. Sa naissance fut suivie de celle de quatre garçons et deux filles, qui tous se chérissaient tendrement !

Son père Paul Guyon, sa mère, Marguerite Brunel de Charpal appartenaient tous deux à d'anciennes et excellentes familles de l'Est et du Midi de la France. Madette garda le cachet de cette double hérédité dans son caractère à la fois réfléchi et exubérant. Ses parents furent tout au long de leur vie unis dans un amour profond, de très rare qualité. Leur christianisme vécu, leur vie exemplaire, marquèrent d'une empreinte profonde l'âme et le comportement de leurs enfants.

Sœur Odile Guyon aimait à parler d'eux, non par vanité ni ostentation d'aucune sorte, non plus que pour se faire le centre d'une conversation, seulement pour citer quelques exemples de leur amour mutuel et de leur foi profonde qui se montra en des heures difficiles.

Chez eux ni préférence, ni jalousie. Les enfants inventaient toujours quelque chose pour égayer et célébrer anniversaires et fêtes ... De la tendresse, il y en avait et beaucoup ! Mais tempérée par une fermeté, base de toute sérieuse éducation.

Celle-ci ne fut pas inutile pour Sœur Odile. Ni elle, ni son frère aîné, Bernard, ne furent des modèles de sagesse. Ils ne le devinrent que plus tard. Caractère vif, emporté, "Madette" cédait difficilement dans les jeux, boudait. Même devant l'autorité de ses parents, elle en faisait à sa tête dans bien des cas et en de multiples occasions, préméditées parfois, prenait ensuite des colères fort violentes. Son frère l'appelait alors « l’adorable furie », ce qui redoublait sa rage et ce n'est certes pas très élogieux !

La raison prit le dessus avec la piété très tendre et l'intelligence vive qui se développèrent rapidement chez l'enfant terrible mais si aimante qu'un baiser calmait... Les choses allèrent si loin cependant que les parents en conçurent quelque inquiétude. Sa mère confia un jour à ses amies qu'elle avait été sur le point de faire exorciser "Madette"!

C'est que justice et vérité tenaient une grande place dans cette toute jeune vie, et elles la tinrent jusqu'au bout. Ce qui lui semblait y porter la moindre atteinte provoquait toujours un éclat.

Elle fit ses premières études dans une institution catholique dirigée par une bonne personne très exigeante. Ceci aida son caractère si violent à s'assouplir et à se maîtriser. Elle suivit ses parents dans leurs déplacements successifs. Née à Dijon dans «un pot de moutarde », aimait-elle à dire, elle vécut à Remiremont, où une certaine tante Jeanne, professeur de musique, donnait encore à 80 ans non seulement des leçons de piano, mais organisait concerts et fêtes. "Madette" acquit près d'elle un goût musical très sûr. Un brin originale, mais cœur d'or jusqu'au dépouillement, tante Jeanne eut une très heureuse influence sur les deux aînés dont elle se chargea un certain temps pour soulager la maman qui avait assez à faire au foyer avec les tout petits... Elle les prépara tous deux à leur première communion qu'ils firent ensemble avec grande piété, le Jeudi-Saint 1911. Cette date leur resta chère et bien des années plus tard, ils ne manquaient jamais de s'écrire à cette occasion et de se répandre en action de grâces. Sœur Odile en parlait toujours avec émotion.

Survient la guerre, l'installation à Marseille. La famille s'accroît toujours. Avec Mme Guyon, "Madette" ouvre les yeux sur les Pauvres. Ensemble elles portaient les vêtements usagés chez nos Sœurs de la « Petite Œuvre». Sœur Supérieure venait les saluer et présentait à Mariette ... une sucette. Avec sa maman encore, "Madette” visite aussi les malades:

La fin de la guerre la trouve en pleine adolescence, et une amitié de ces années-là permet de la suivre presque pas à pas puisque sa correspondance a été conservée: il s'agit surtout des jours de congé où les loisirs laissent le temps des longues épîtres:

1922 m'arque une date dans la vie de la jeune fille. Elle revient de Remiremont où elle a passé un an, préparant sa philosophie. Son père, pour faire face à de sérieuses difficultés financières, a monté une usine de confiserie, mais plus idéaliste que commerçant, les affaires ne sont guère brillantes. "Madette” met toute son intelligence à le seconder et même s'initie aux secrets des « teneurs de livres », sans cependant négliger ni la maison, ni les pauvres. M. Guyon l'emmenait quelquefois, mais artistes tous les deux, n'ayant ni l'un ni l'autre le sens de la direction, il leur arrivait en devisant de prendre la droite pour la gauche et de revenir à leur point de départ qu'ils prenaient pour le point d'arrivée. Ils en riaient ensemble avec bonne humeur.

A l'automne 1927 elle arrivait au postulat de 'L'Hay-les-Roses où elle ne se fit remarquer que par sa docilité, son esprit de foi, son application à comprendre et, au besoin, se faire répéter par quelqu'une ce qu'elle croyait n'avoir pas saisi. Remarquable aussi, il faut bien le dire par ses distractions restées légendaires et trop multipliées pour être relatées.

Entrée au Séminaire en février 1928, elle le quitta en mars 1929. Période de formation intense. Sa ferveur, son désir de rendre service et sa bonne volonté pour accomplir tout ce qui était commandé ou simplement recommandé furent exemplaires dès cette époque. Son père comprend si bien sa vocation Il lui écrit le 1er juillet :

"Vous aurez toujours des Pauvres parmi vous”; Ce n'est pas la bienfaisance qui donnera le salut, si cette bienfaisance n'est pas enrichie de la charité, de la Charité totale de Jésus. C'est celle-là qui a de la valeur et elle vaut qu'on y mette le prix, le plus grand prix. Vive Jésus, Tout pour Jésus et par Lui toutes les misères seront soulagées et guéries ... Quelle joie pour moi de penser qu'Il t'a appelée à participer à Sa Charité infinie, sous l'égide de ton Saint Fondateur.

A la sortie du Séminaire, celle qui s'appellera désormais Sœur Odile, fut placée à la Maison de Charité, de la rue Championnet à Paris et mise à la tête d'une classe d'une quarantaine de petites Montmartoises, Parisiennes futées et fort peu disciplinées, comme elles le sont toutes entre 10 et 12 ans ...

Sœur Odile s'embarqua fin septembre sur «Le conte-de-l'Isle» avec sa nouvelle Supérieure.

28 ans en Egypte

L'Egypte avait accueilli Abraham au temps de la famine. Joseph y a vécu. Moïse y est né. Jésus, Marie, Joseph y ont reçu l'hospitalité. Pour un cœur chrétien, n'y a-t-il pas, par cela seul, sujet d'aimer ce beau pays?

Les Filles de la Charité y sont entrées en 1844, et au moment où Sœur Guyon y débarque elles y ont douze maisons. La Compagnie du Canal de Suez, depuis le percement de l'isthme en 1869 a demandé des Sœurs pour le service de ses ouvriers, à l'Hôpital d'Ismaïlia d'abord (1888) puis à l'école (1909). Le long du canal, la petite maison de Port Tewfik ouvre aussi ses portes aux Pauvres. A l'entrée, nos Sœurs soignent les Pauvres à l'Hôpital de Port-Saïd.

C'est à l'école d'Ismaïlia que la Providence dirige Ina Sœur Guyon. L'école Saint Vincent, destinée aux enfants des cadres supérieurs de la Compagnie du Canal. Sept classes avec différents cours y groupent toutes les nationalités et tous les cultes: catholiques latins, coptes orthodoxes et catholiques; protestants; musulmans, etc. La Sœur Servante a déjà substitué l'enseignement secondaire au primaire, car cela correspond au milieu social des élèves.

A l'école Sainte Marie sont reçues les enfants des ouvriers et des matelots,
Trois classes.

Une école arabe a trois classes aussi et on nourrit gratuitement une cinquantaine de fillettes, très pauvres, coptes catholiques et orthodoxes.

En tout alors quatre cent cinquante enfants, dans cette ville de 60.000 habitants.

Sœur Guyon aura à faire face à une situation délicate : par manque de personnel religieux, avant elle, des institutrices avaient été engagées et de ce fait, les plus grandes élèves échappaient à l'influence directe des Sœurs. Il lui faudra se faire accepter et des unes et des autres. Elle y réussira par sa charité sincère et elle-même livre son secret :

Un an à peine, après son arrivée en Egypte, un deuil senti très profondément vint: la frapper: Son père bien-aimé fut victime d'un accident brutal. Un jour, sur 'la plateforme d'un tramway à Marseille, il fut happé par une bâche mal attachée d'un camion lancé à toute vitesse qui le projeta sur le trottoir. D'où blessures et fractures graves. Il se remit cependant, soigné dans une excellente clinique. L'espoir était permis; la veille de sa sortie et du retour joyeux escompté par tous les siens, sa si chère épouse venait de le quitter, quand une embolie l'emporta. C'était le 7 novembre 1934.

Année par année aussi, son influence grandit sur les collaboratrices laïques, gagnées par son excellent caractère, ouvert et cordial.

En 1949, une nouvelle convention est passée entre l'Egypte et la Compagnie du Canal de Suez dont dépendent les deux maisons d'Ismaïlia et celle de Port Tewfik. Trois ans plus tard, le roi Farouk abdique et en 1954, le nouveau chef du pays, Nasser, déclare nationaliser le canal de Suez. Le 5 novembre 1956, les terribles journées de Port-Saïd consolidaient le fait acquis ; avec ses suites : expulsion, séquestres, etc. On en devine les répercussions sur les œuvres de la Communauté, heureusement internationale !

En ces vingt années, pour Sœur Odile, joies et peines vont alterner comme en toute vie humaine,

Elle prit sa part de la joie de la Communauté lors de la bénédiction de la cathédrale de Port-Saïd, dédiée- à Marie, Reine du monde et dont les liens avec les Apparitions de la rue du Bac sont si profonds. La piété filiale de nos Sœurs envers la Très Sainte Vierge, depuis longtemps, les avait poussées à désirer que l'entrée du canal qui joint l'Europe à l'Asie, soit mise sous sa protection : des médailles, avaient été jetées à profusion sur le sable qui envahissait la plage. Et voici que, grâce au Vicaire apostolique, Monseigneur Hiral, le timide projet peu à peu prit corps et un sanctuaire, digne de Marie, Reine de l'Univers, s’éleva : le 13 janvier 1937, Notre Vénérée Mère Lebrun elle-même, décrivait la cérémonie:

En 1938, la plus grosse cloche « Catherine», était bénie à son tour; et dans sa décoration figure le blason de la Médaille miraculeuse; Sainte Catherine; Saint Vincent de Paul, Saint Joseph et Saint Pierre. Une inscription y est gravée :

Beaucoup de Maisons ont contribué à l'érection du sanctuaire et à la fonte de la cloche. Et il Y eut aussi « le don des Pauvres » comme ce commissionnaire de Paris qui passait ses journées à porter des paquets et qui voulut, sur ses plus que modestes pourboires, prélever un billet de 1000 francs d'alors, pour "Catherine" chantant les louanges de Marie.

Aussi, on comprend sa joie quand elle apprit que la Communauté allait se charger de nouveaux Centres de Charité en Haute-Égypte, à Sedfa (1950) et à Koussieh (1955), près des coptes, ces « chrétiens d'Orient, de souche apostolique, premiers nés du christianisme africain » qui forment le cinquième de la population (cinq millions de chrétiens purement égyptiens) soumis à l'autorité de leurs Patriarches dont l'un est un fils de Saint Vincent : Sa Béatitude Sésostris II Sidarous.

Mais à Ismaïlia, la nationalisation du canal et les nouveaux programmes scolaires égyptiens entrainaient au Collège des modifications importantes. Une loi de 1955 rendait obligatoire l'enseignement du Coran dans tous les établissements scolaires «privés», du moins pour les musulmans.

En 1958, une autre loi prescrivait un programme unique, celui du Ministère de l'Education nationale égyptienne. Les responsables devaient être du pays et ils se succédaient. Les Sœurs entrevoyaient leur départ dans un avenir plus ou moins proche.

Bien unies, elles s'encourageaient à ne voir en tout que la volonté divine.

En 1961, le Collège compta de beaux succès au baccalauréat, mais l'année suivante vit la dispersion, malgré la peine vivement ressentie de quitter les lieux où tant de liens les rattachaient. Sœur Odile travaillait là depuis vingt-sept ans! Un adoucissement à leur peine fut que des religieuses égyptiennes les remplaceraient. En juillet 1962, le sacrifice était consommé.

Sœur Odile voyait s'ouvrir devant elle une nouvelle étape. Elle la passera encore, du moins la première année, au service de la jeunesse tant aimée, à Beyrouth.

Le 22 janvier 1963, elle écrit à son frère Bernard, devenu Doyen à la Faculté des Lettres d'Aix-en- Provence:

Pleinement, Sœur Guyon a réalisé les béatitudes qu'énonçaient Sa Sainteté Paul VI lors de son voyage en Terre Sainte:

« Bienheureux serons-nous si, pauvres en esprit, nous savons nous libérer de la trompeuse confiance des richesses matérielles et placer nos désirs d'abord dans les biens spirituels et religieux; si nous avons du respect et de l'amour pour les pauvres comme pour des frères et des images vivantes du Christ.

Bienheureux serons-nous si, pour le règne de Dieu, nous savons, dans le temps et au-delà, pardonner et lutter, agir et servir, souffrir et aimer.

Nous ne serons pas déçus pour l’éternité !


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