Sœur Lucienne BRUNO – Une figure du Liban
Née le 20 août 1908 à VALLAURIS, dans les Alpes Maritimes, Lucienne BRUNO, après l'obtention de son Baccalauréat à l'Ecole Secondaire de Cannes, prend l'habit dans la Compagnie des Filles de la Charité de Saint Vincent de Paul en 1931. Quatre ans d'enseignement à Paris et elle se retrouve en 1935 missionnaire à Tripoli, elle qui rêvait d'Afrique et d'Indochine et ne voulait surtout pas entendre parler du Proche-Orient.
Dans cette ville du nord du Liban à majorité musulmane, la maison des Filles de la Charité, située dans un quartier populaire, était alors formée d'un orphelinat, d'un internat, d'une école gratuite primaire, d'un lycée, d'un dispensaire, d'un ouvroir et d'un service à domicile des malades et des personnes âgées démunies.
Sœur Bruno s'occupera d'une manière particulière des orphelines, enseignera les mathématiques et le français, animera les activités parascolaires et éveillera ses élèves à l'amour et au service du pauvre. Il était alors courant de voir ses élèves, reconnaissables à leur uniforme scolaire, aller par petits groupes de par la ville. Elles portaient des colis aux personnes démunies. On ne distinguait pas l'élève chrétienne de la musulmane. Tout le monde mettait la main à la pâte.
Les années soixante verront monter l'islamisme et le nationalisme arabe. Gamal Abdel Nasser, pourfendeur de « l'impérialisme et le néo-colonialisme occidental », était alors l'idole de la rue musulmane. Il n'était pas rare de voir des manifestants, portés par les harangues de Nasser ou les prêches dans certaines mosquées, s'attaquer aux écoles chrétiennes, toutes francophones alors et sensées être des nids d'espions. Sœur Bruno fera preuve à toute occasion d'un grand courage et d'une parfaite maîtrise d'elle-même. Elle fermait les grilles de son école et se plantait face aux manifestants. Ses élèves n'ont jamais eu à se plaindre de ces tempêtes passagères. Comment s'attaquer d'ailleurs à cette grande dame impressionnante avec son grand chapeau blanc ? C'est que dans Tripoli il fallait alors compter avec et sur trois personnages : Monseigneur Antoine ABED, Archevêque maronite de la ville, Monsieur Rachid KARAME, sempiternel Premier Ministre et Sœur Lucienne BRUNO.
Après un passage comme Sœur Servante à la Maison Provinciale de Beyrouth, Sœur BRUNO se retrouve en 1973 Visitatrice du Proche-Orient. Une Province formée de cinq pays éternellement perturbés et perturbateurs. Comme sont loin les rêves d'Afrique et d'Indochine!
Elle ira, neuf ans durant, d'une mission à une école, d'un dispensaire à un orphelinat et d'une léproserie à un hôpital. Femme de caractère, elle encourage par ci, remet les choses au point par là, s'attaque de front aux problèmes et ne recule devant aucune fatigue. Les dernières années de sa vie seront consacrées aux archives de la Province. Elle les a répertoriées, classées et sauvées des bombardements, incendies et inondations. L'ordinateur et l'internet n'avaient plus de secrets pour elle. Ni l'hypertension ni l'insuffisance cardiaque dont elle souffrira ne l'empêcheront d'être fidèle à son office, et jusqu'aux derniers jours de sa vie. Elle rejoindra la Maison du Père le 1er septembre 2006. A 98 ans, l'esprit vif et la mémoire infaillible, elle me répétait que par ce service des archives, elle cherchait à faire connaître tout ce que le Seigneur a accompli par la Compagnie des Filles de la Charité au Proche-Orient, et à encourager les plus jeunes à prendre exemple sur les anciens pour que le Christ soit dit toujours et partout.
Antoine-Pierre NAKAD cm